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De 1954 à 1962, au nom de la lutte contre la «subversion» du FLN, au nom du rattachement de l'Algérie à la France qui interdisait d'y appliquer le droit de la guerre et de considérer les nationalistes comme des combattants, la justice et son personnel prirent une part active à la guerre d'Algérie : instruction des affaires, condamnations par milliers infligées par les tribunaux correctionnels et militaires, rappel de magistrats sous les drapeaux, etc. Les seules condamnations à mort atteignirent les 1 500, dont près de 200 furent exécutées.
Dans ce livre passionnant et très documenté, Sylvie Thénault montre que cette insertion de la justice dans un vaste système de répression la priva de fait de son droit de regard sur les arrestations, les gardes à vue, les détentions et les interrogatoires pratiqués par l'armée. S'appuyant sur des archives jusque-là inaccessibles de l'Armée de terre - instructions, directives, fiches de renseignements, etc. - et du ministère de la Justice, notamment la correspondance entre les procureurs généraux d'Algérie et la Chancellerie parisienne, elle met au jour une justice amputée et réformée par les législations d'exception. Une «drôle de justice», à l'image de la «drôle de guerre» cette guerre qui n'en était pas vraiment une.
Il est temps, aujourd'hui, que ce passé proche entre dans l'Histoire. Pour les magistrats qui l'ont vécue, appelés à jouer un rôle inédit, confrontés au partage de compétence avec la justice militaire et à la torture, la période reste douloureuse. C'est pour l'aborder sereinement, sans juger ni céder aux injonctions d'un «devoir de mémoire» culpabilisant, que l'auteur a écrit ce livre.